Libération des camps de concentration, 60 ans après…

article paru dans le journal municipal "Pont d'Appui" d Avril 2005


Nous avons rencontré Guy Ducoloné,l’un des 4 survivants Isséens des camps, qui raconte l’effrayante réalité d’un système industriel d’extermination… Retrouvrez aussi le déroulement des commémorations à Issy.

Point d’Appui : « Quand a eu lieu votre déportation et dans quelles conditions cela s’est-il passé ?
Guy Ducoloné :
Je suis entré dans la Résistance en 1940, en tant que membre de la Jeunesse Communiste. Je suis ensuite devenu responsable de la presse clandestine du Sud de Paris avant d’être arrêté le 1er mai 1942 et emprisonné pendant 2 ans. J’ai traversé alors les prisons de la Santé, de Fresnes, Melun, Châlons-sur-Marne et finalement Compiègne. Finalement en mai 1944, j’ai été envoyé au camp de Buchenwald. J’y suis resté un an. Il faut savoir qu’à la différence d’Auschwitz, qui était un camp d’extermination des juifs, Buchenwald était un camp de concentration où se trouvaient des hommes et des femmes arrêtés pour différents motifs.
Les grands départs pour les camps de concentration se sont faits de France à partir de juin juillet 43. Les Nazis avaient programmé l’extermination de 200 000 juifs de France. Parmi eux, deux tiers ont réussi à se cacher ou ont été cachés par des familles françaises. Buchenwald a reçu 27 000 français et françaises.

P d’A : Durant toute cette période, comment avez-vous vécu et survécu dans ce camp ?
G.D
. : Il y avait toujours la menace de la mort. Nous étions voués à mourir. Nous avions faim, froid et étions exploités de manière odieuse de 5h à 22h tous les jours. Dans ce camp, nous étions utilisés pour travailler dans les usines d’armement autour du camp, notamment dans les usines d’assemblages de V2 (fusées intercontinentales). Notre « amusement » favori était le sabotage et même si nous risquions la corde, nous savions que nous allions périr ici, à Buchenwald.
Ce camp avait une organisation particulière. La structure à l’intérieur des barbelés était assurée par des détenus. Il y avait deux sortes de détenus. Nous, détenus politiques, affublés de triangles rouges tandis que les SS avaient « confié » cette organisation intérieure aux détenus qui avaient un triangle vert, c'est-à-dire les détenus « de droit commun » : criminels, voleurs, violeurs, et autres condamnés à de lourdes peines. Puis à la suite d’incidents de dépravations qui se sont produits dans le camp, le commandant a été relevé de ses fonctions. Ce dernier avait une épouse que l’on appelait la « Chienne de Buchenwald ». A l’arrivée des hommes sortis des convois, elle assistait à la cérémonie qui consistait à nous mettre nus, nous tondre avant de nous plonger dans des bains de désinfection. Elle faisait mettre de côté les hommes qui avaient des tatouages et elle les faisait tuer pour ensuite tanner leur peau. Avec, elle confectionnait des abat-jour, des couvrelivres, qu’elle vendait…
Suite au départ de ce commandant, ce sont des détenus politiques qui ont repris les structures du camp. C’est ainsi qu’a pu s’organiser une structure clandestine de résistance, structurée par pays. Pour les Français, cela s’appelait le Comité des Intérêts Français. Cela a permis d’organiser efficacement le sabotage dans les usines, et de s’organiser militairement.

P d’A : En ce qui vous concerne, à quelle date a eu lieu la libération du camp dans lequel vous étiez enfermé? Que ressent-on à ce moment là ?
G.D.
: Le camp a été libéré le 11 avril 1945. Déjà vers le 6 avril, il y a eu toute une série d’évacuations organisée par les SS, toutes n’ont pas abouti, mais près de 20 000 déportés ont été lancés sur les routes, dans ce que l’on a appelé les « Marches de la mort ». Ceux qui sont restés au camp ont commencé une sorte de défense passive, et les SS n’étaient plus en état de faire régner l’ordre. Le 11 avril au matin, nous avons entendu l’alerte aux chars. Les unités américaines arrivaient. Les brigades armées clandestines du camp ont pu alors se mettre en action. Les SS ont commencé à déguerpir, d’autres ont été fait prisonniers. De ce fait, quand les unités américaines sont arrivées dans le camp, il était déjà libre.

P d’A : Au moment du retour parvient-on à raconter l’indicible? Comment parle-t-on de cela à son entourage? Comment refait-on sa vie?
G.D
. : Les unités de soldats alliés sont arrivés apportant ravitaillement et unités sanitaires. Le premier départ a eu lieu le lendemain, par avion, en direction de Paris. Puis, d’autres retours ont suivi, cette fois-ci en camion et en train. Nous avons été reçus le 29 avril 1945 par la police française. J’ai retrouvé mes parents, ma famille, qui m’ont soigné et m’ont aidé à retrouver ma vie d’avant. Il est difficile de parler de cette période. J’en ai parlé et on m’a écouté, mais beaucoup pensaient que nous exagérions. Nous nous sommes rassemblés entre anciens déportés, une amicale est née pour chaque camp. Cela a permis de faire appliquer certaines choses, par exemple de créer un statut de la déportation.
En 1946, je me suis marié. Mon épouse avait été déportée elle aussi, nous n’en avons jamais parlé entre nous. Aujourd’hui, ce sont les petits-enfants de déportés qui veulent savoir ce que leurs grands-parents ont subi. Ils sont demandeurs de ces témoignages. Et nous avons beaucoup de jeunes qui demandent des adhésions à notre association. »

 

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