Nous avons rencontré
Guy Ducoloné,lun des 4 survivants Isséens
des camps, qui raconte leffrayante réalité
dun système industriel dextermination
Retrouvrez aussi le déroulement des commémorations
à Issy.
Point
dAppui : « Quand a eu lieu votre déportation
et dans quelles conditions cela sest-il passé ?
Guy Ducoloné : Je suis entré dans la Résistance
en 1940, en tant que membre de la Jeunesse Communiste. Je suis
ensuite devenu responsable de la presse clandestine du Sud de
Paris avant dêtre arrêté le 1er mai
1942 et emprisonné pendant 2 ans. Jai traversé
alors les prisons de la Santé, de Fresnes, Melun, Châlons-sur-Marne
et finalement Compiègne. Finalement en mai 1944, jai
été envoyé au camp de Buchenwald. Jy
suis resté un an. Il faut savoir quà la différence
dAuschwitz, qui était un camp dextermination
des juifs, Buchenwald était un camp de concentration où
se trouvaient des hommes et des femmes arrêtés pour
différents motifs.
Les grands départs pour les camps de concentration se
sont faits de France à partir de juin juillet 43. Les
Nazis avaient programmé lextermination de 200 000
juifs de France. Parmi eux, deux tiers ont réussi à
se cacher ou ont été cachés par des familles
françaises. Buchenwald a reçu 27 000 français
et françaises.
P dA : Durant toute cette
période, comment avez-vous vécu et survécu
dans ce camp ?
G.D. : Il y avait toujours la menace de la mort. Nous étions
voués à mourir. Nous avions faim, froid et étions
exploités de manière odieuse de 5h à 22h
tous les jours. Dans ce camp, nous étions utilisés
pour travailler dans les usines darmement autour du camp,
notamment dans les usines dassemblages de V2 (fusées
intercontinentales). Notre « amusement » favori était
le sabotage et même si nous risquions la corde, nous savions
que nous allions périr ici, à Buchenwald.
Ce camp avait une organisation particulière. La structure
à lintérieur des barbelés était
assurée par des détenus. Il y avait deux sortes
de détenus. Nous, détenus politiques, affublés
de triangles rouges tandis que les SS avaient « confié
» cette organisation intérieure aux détenus
qui avaient un triangle vert, c'est-à-dire les détenus
« de droit commun » : criminels, voleurs, violeurs,
et autres condamnés à de lourdes peines. Puis à
la suite dincidents de dépravations qui se sont
produits dans le camp, le commandant a été relevé
de ses fonctions. Ce dernier avait une épouse que lon
appelait la « Chienne de Buchenwald ». A larrivée
des hommes sortis des convois, elle assistait à la cérémonie
qui consistait à nous mettre nus, nous tondre avant de
nous plonger dans des bains de désinfection. Elle faisait
mettre de côté les hommes qui avaient des tatouages
et elle les faisait tuer pour ensuite tanner leur peau. Avec,
elle confectionnait des abat-jour, des couvrelivres, quelle
vendait
Suite au départ de ce commandant, ce sont des détenus
politiques qui ont repris les structures du camp. Cest
ainsi qua pu sorganiser une structure clandestine
de résistance, structurée par pays. Pour les Français,
cela sappelait le Comité des Intérêts
Français. Cela a permis dorganiser efficacement
le sabotage dans les usines, et de sorganiser militairement.
P dA
: En ce qui vous concerne, à quelle date a eu lieu la
libération du camp dans lequel vous étiez enfermé?
Que ressent-on à ce moment là ?
G.D.
: Le camp a été libéré le 11 avril
1945. Déjà vers le 6 avril, il y a eu toute une
série dévacuations organisée par les
SS, toutes nont pas abouti, mais près de 20 000
déportés ont été lancés sur
les routes, dans ce que lon a appelé les «
Marches de la mort ». Ceux qui sont restés au camp
ont commencé une sorte de défense passive, et les
SS nétaient plus en état de faire régner
lordre. Le 11 avril au matin, nous avons entendu lalerte
aux chars. Les unités américaines arrivaient. Les
brigades armées clandestines du camp ont pu alors se mettre
en action. Les SS ont commencé à déguerpir,
dautres ont été fait prisonniers. De ce fait,
quand les unités américaines sont arrivées
dans le camp, il était déjà libre.
P dA : Au moment du retour
parvient-on à raconter lindicible? Comment parle-t-on
de cela à son entourage? Comment refait-on sa vie?
G.D. : Les unités de soldats alliés sont arrivés
apportant ravitaillement et unités sanitaires. Le premier
départ a eu lieu le lendemain, par avion, en direction
de Paris. Puis, dautres retours ont suivi, cette fois-ci
en camion et en train. Nous avons été reçus
le 29 avril 1945 par la police française. Jai retrouvé
mes parents, ma famille, qui mont soigné et mont
aidé à retrouver ma vie davant. Il est difficile
de parler de cette période. Jen ai parlé
et on ma écouté, mais beaucoup pensaient
que nous exagérions. Nous nous sommes rassemblés
entre anciens déportés, une amicale est née
pour chaque camp. Cela a permis de faire appliquer certaines
choses, par exemple de créer un statut de la déportation.
En 1946, je me suis marié. Mon épouse avait été
déportée elle aussi, nous nen avons jamais
parlé entre nous. Aujourdhui, ce sont les petits-enfants
de déportés qui veulent savoir ce que leurs grands-parents
ont subi. Ils sont demandeurs de ces témoignages. Et nous
avons beaucoup de jeunes qui demandent des adhésions à
notre association. » |