INTERVENTION DE FRANCIS WURTZ,
PRESIDENT DU GROUPE GUE-NGL AU PARLEMENT EUROPEEN (6 avril 2004)

Hier, François Hollande a employé la formule suivante : " le choix sera entre une Europe plus sociale ou une Europe plus libérale ". Si on n'y prend garde, cette alternative peut passer auprès de l'opinion. C'est astucieux, car il ne dit pas " une Europe sociale ou une Europe libérale ".

Nous non plus, nous n'attendons pas le Grand soir où l'Europe sera parfaite. Nous nous battons en permanence pour faire un peu mieux, ou beaucoup mieux, ou très bien, ce n'est jamais le tout ou rien. Le 19 avril, le groupe GUE-NGL va publier une brochure bilan de la législature. Question par question, nous aborderons nos positionnements par rapport aux propositions du Parlement européen. Nous citerons aussi des exemples de succès remportés, les rapports que nos parlementaires ont présentés. La brochure est intitulée " Une autre voix en Europe ", pour montrer que nous sommes immergés dans l'Europe. Nous sommes 19 partis différents, de 14 pays.

La formule de F. Hollande est bien pernicieuse : elle laisse entendre qu'on n'a pas besoin de toucher à l'essentiel pour faire mieux. La confrontation sur le fond est donc nécessaire.

Il y a une minorité croissante de citoyens qui ne se satisfont plus de cette idée. Nous voulons montrer les limites qualitatives d'un modèle, avérées par l'expérience. Il ne s'agit pas d'une bataille politicienne. Nous faisons appel à l'intelligence, à l'expérience des citoyens. Cette démarche parle à un nombre plus important de personnes.

Nous partons de ce qui s'est passé avec les élections régionales. Puis nous analysons le modèle libéral actuel pour le critiquer en profondeur. Nous disons cela au nom d'une grande ambition pour l'Europe. Aucune concession au populisme qui va faire ses gorges chaudes sur le malheur des gens ! Pas de retour au paradis perdu de l'Etat national replié sur lui-même !

Cet Etat national n'est plus du tout ce qu'il a pu être pendant " les trente glorieuses ". L'Etat national fait le libéralisme et fait l'Europe. La révolution technologique et des communications, le besoin d'échanges exprimés par les peuples, l'interpénétration des sociétés sont très positifs. Comment la France peut apporter la meilleure contribution à cette construction ? Nous préconisons l'intervention des citoyens à ce processus.

Notre ambition pour l'Europe se décline suivant trois axes.

1) Un nouveau modèle social européen

A partir de plusieurs exemples. D'abord, un système de sécurité, d'emploi et de formation - qui est d'une très grande portée. Il est valable pour l'Europe. Voilà à quoi devrait servir en priorité la Banque centrale européenne (BCE) : mobiliser tous les instruments dont peuvent disposer les pouvoirs publics aux niveau européen et national, au service de cette grande priorité qui est de garantir à chaque individu un emploi mais aussi, quand il doit quitter cet emploi, une formation lui permettant de développer ses capacités. Sortir ainsi du divorce économie/société.

Cette très grande ambition doit se décliner de façon partielle. On ne dit pas, tant que cet objectif n'est pas à l'ordre du jour, on ne fait rien. On entend des thèmes sur la formation tout au long de la vie dans tous les discours. L'idée est donc bien d'actualité. Pour montrer qu'une autre Europe est possible, la perspective est celle de cette sécurité d'emploi et de formation.

Autre exemple, les services publics, dans un sens développé - pas seulement le maintien de l'existant, mais des " biens publics communs ", qui doivent servir à l'intérêt général. (l'eau, le crédit). On parle aussi d'entreprises publiques de services publics. Ayons une vision offensive sur l'économie au service des sociétés, chez nous ET dans le monde.

Dans les négociations sur le budget 2007-2013 (actuellement, le budget de l'Union est d'environ 100 milliards d'euros), les couteaux sont sur la table ! Rappelons qu'au somme européen de Lisbonne, en 2000, les Quinze avaient affiché l'ambition du plein emploi à l'horizon 2010. Or, à mi-parcours, la Commission fait elle-même un constat d'échec :
- l'Union compte aujourd'hui 55 millions de pauvres
- 18% des jeunes sont sans qualification
- 17,2% des jeunes de 15 ans n'ont pas les connaissances
Pourtant, la Commission en tire la conclusion qu'il " faut aller plus loin dans les réformes ".

2) Faire de l'Union européenne un acteur mondial d'un nouveau type

L'idée n'est pas de prôner le rôle d'USA bis, un pôle concurrent, ce serait un mauvais chemin, de plus totalement illusoire. Si on utilise les mêmes armes qu'eux, on va déchirer le monde un peu plus. Cette vision existe, il faut en discuter.

Notre idée est que l'Union Européenne (UE) use de son poids (450 millions d'habitants, 25 pays, plus du ¼ des richesses dans le monde). Elle a un réseau de relations et d'influence dans le monde entier. Que va-t-on faire de ce potentiel pour favoriser l'émergence de nouvelles règles dans les relations internationales ? Comment rendre la mondialisation plus solidaire, équitable, pacifique ?

Sue ce plan, il y a une attente d'Europe dans le monde entier. A Cancun, lors du sommet de l'Organisation mondiale du commerce, l'Union Européenne a commis une faute stratégique à cet égard. Pour la 1ère fois depuis longtemps, on a vu une réémergence du Sud, sur des bases certes contradictoires. Au lieu de dire, nous faisons le choix d'une alliance stratégique avec le Sud, l'UE s'est alignée sur les Etats-Unis - concurrent et partenaire.

Sur les questions de guerre et de paix, l'UE jour un rôle indigent au Moyen-Orient. Elle n'a tiré aucune leçon du fiasco américain en Irak. Fiasco qui entraîne le monde entier dans son sillage. L'UE ne dit rien. Au Proche-Orient, on constate une faillite de la politique extérieure de l'UE, alors qu'il s'agit d'un sujet structurant et que si la question palestinienne était réglée, la moitié des problèmes du monde (notamment le terrorisme) serait réglée.

3) Une authentique démocratie participative européenne.

La démocratie participative ne doit pas devenir une sorte de bac à sable ! Elle doit porter sur tous les enjeux, aussi bien les nouveaux droits dans les entreprises, que ce quon peut appeler la " traçabilité " des capitaux !

Il n'y a pas de fatalité que les principaux lieux de décision soient éloignés et mis à l'abri des citoyens. Le Parlement européen, même s'il a beaucoup plus de pouvoir qu'on ne lui en prête, ne peut compenser ces manques. Mais les lois européennes (ou " directives ") sont votées à parité par le Conseil des ministres et le Parlement européen ; cela confère donc un pouvoir considérable au Parlement. Il faut donc envoyer au Parlement européen des gens en qui on a confiance pour contrer cela, et qui annoncent ce qu'il vont défendre.

Sur l'élargissement

Je crains que cette idée vienne très fort et très mal dans la campagne. Ne tombons pas dans la facilité. L'élargissement, comme projet, est un magnifique projet d'unification du continent, de rapprochement des peuples, pour surmonter les fractures de l'histoire. En tant que tel, c'est un grand projet. Il vaudrait donc mieux parler de l'unification du continent plutôt que de l'élargissement. Nous avons chacun à apprendre les uns des autres et à construire ensemble un espace qui nous convienne à tous.

La gestion de l'élargissement par la Commission et le Conseil, elle, est désastreuse. Parce qu'il s'agit simplement de l'élargissement du modèle libéral, dans sa forme la plus brutale. Au nom de ce que l'UE appelle l' "acquis communautaire ", on a imposé à ces pays l'acceptation, sans en changer un seul ressort, de tout ce que nous rejetons.

Ainsi, il a été dit au Parlement tchèque : " ou vous acceptez, ou vous attendez ". On risque de le payer avec du populisme, du nationalisme. De même, le ministre des finances polonais a fait accepter par le Parlement polonais un plan d'austérité pour précéder l'entrée du pays dans l'Union. Jusqu'à présent, les pays membres avaient le choix. La Grande-Bretagne, la Suède, le Danemark avaient refusé. Ce n'est plus le cas pour ces nouveaux membres. Tout de suite, ils doivent préparer les critères de convergence.

Au nom de l'acquis communautaire, la Pologne applique, d'ici 2007, 10,5 milliards d'euros de coupe budgétaire dans les budgets sociaux.

Que signifie les fameuses " réformes " pour ces pays ? En Pologne, le retardement du départ à la retraite pour les femmes, ou la suppression des pensions d'invalidité " indues ", ou la suppression d'effectifs dans les emplois publics. La seule polémique entre la majorité et l'opposition dans ce pays porte sur " il faut aller plus loin, plus vite ". Il existe désormais des mises en concurrence entre ces pays par des entreprises comme les constructeurs automobiles.

Aucun droit à des protections particulières n'est toléré par l'Union européenne, dans une phase de consolidation des économies de ces pays. C'est totalement irresponsable.

Il faut le dire, pas parce que nous sommes contre l'élargissement, mais au contraire, contre le massacre de ce grand projet.

Nous avons organisé des réunions de notre groupe dans tous les futurs pays membres et nous y avons invité des partis de gauche, des syndicats, des associations. Nous leur avons dit qu'il existe, dans l'Union européenne, une force qui est pour la réussite de l'élargissement mais qui dit que ce qu'on leur impose n'a rien à avoir avec de l'acquis communautaire pour les gens. Nous voulons lutter avec eux. Une ministre polonaise du travail a même voulu le dire avec nous lors d'une conférence de presse.

Les Etats, dont le nôtre qui, ayant accepté cette vision injuste de l'élargissement, disent en plus aujourd'hui " il faut geler le budget " et donc empêcher un traitement social des dégâts, ont une attitude dangereuse, qui peut laisser la place à du poujadisme. Moins de budget, fermeture des frontières, tout en faisant plus d'affaires. Cela s'appelle du pillage.

Nous avons une hotte pleine d'arguments simples, vérifiables, qui peuvent parler aux gens, si nous avons être constructifs, responsables et factuels.

 

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