HOMMAGE DE Marie George Buffet, secrétaire nationale du PCF, Députée, ancien ministre

Obsèques de Madeleine Vincent
28 novembre 2005


Madeleine nous a quittés.
Chers Guy, Daniel, il y aurait trop de choses à dire aujourd’hui pour rendre à Madeleine l’hommage qui lui est dû. Au cœur de l’immense tristesse qui nous accable, me reviennent les images et les souvenirs de sa vie. Une vie pleine, une vie belle, une vie donnée, une vie aux prises avec l’injustice qui frappe le monde, une vie reliée à tant d’autres vies.

Peut-on parler de Madeleine, sans penser à Guy ? Jusqu’au bout, Guy, tu lui as donné le sourire. Sans ressentir une nouvelle fois la force de leur amour l’un pour l’autre. Un amour qui donnait de l’énergie, de l’assurance, du réconfort, de l’envie. Un amour qui rayonnait et qui habitait son quotidien. Un amour qui réchauffait aussi nos cœurs. Un amour où ton humour, Guy, faisait fusion avec la rigueur de Madeleine. A toi, Guy, je voudrais dire simplement que nous sommes là, pour vivre avec toi cette absence. Le souffle de votre histoire, de votre passion, de votre immense amour, n’est pas pour autant éteint. Il demeure encore aujourd’hui.

Pour les communistes, celle qui s’en va est d’abord, profondément, une des leurs. Une camarade de lutte, qui a été de tous leurs combats et de tous leurs espoirs. Ceux qui l’ont connue, ici, à Issy-les-Moulineaux, et ailleurs, savent combien elle était une formidable militante. Je t’entends, Guy, je l’entends me parler de ses tournées de l’HD. Je vous vois essayer de convaincre ma fille rebelle du bien fondé de notre engagement. Madeleine était là. Je la revois. Son regard bleu, franc, discrète mais si élégante, son tailleur, ses corsages. Elle était femme. Son sourire et ses gestes tendres. Sa façon de dire ce qu’elle croit, posée, réfléchie. Elle était enracinée dans le quotidien des hommes et des femmes qu’elle rencontrait. Elle savait toujours, avec beaucoup de tendresse, faire sentir à chacune et chacun combien sa vie avait de la valeur. Elle était toujours disponible pour le conseil politique, pour le conseil personnel. Je me rappelle avoir aussi fait irruption plus d’une fois dans son bureau.

Sa vie d’engagement, elle l’avait commencée très tôt. Encore en scolarité, elle fut très sensible aux événements de 1934, puis de 1936. Mécanographe de profession, elle adhéra à l’Union des Jeunes Filles de France. Elle en animait l’activité locale et participait à la direction départementale du sud parisien. Madeleine n’aimait pas vraiment que l’on parle d’elle, pourtant elle pouvait tant nous dire, vu le rôle qu’elle occupait. Elle disait préférer qu’on évoque tout ce qui s’était fait, à quoi elle avait eu sa part, certes, mais avec d’autres. On le sent dans ces mots qu’elle écrivait en 1997, pour parler de sa vie, à propos de son passage à l’UJFF : « On ne dira jamais assez ce que cette organisation a fait, sous la direction de Danielle Casanova, pour rassembler les jeunes filles, défendre leurs droits, organiser l'aide aux enfants d’Espagne, éclairer sur la montée du nazisme en Allemagne, éveiller et développer chez elles les sentiments démocratiques et patriotiques, expliquait-elle en 1997. Ce fut pour beaucoup dans ma détermination, dans celle de dizaines de milliers de jeunes filles. Les événements qui suivirent l’ont bien démontré. »

Ce fut en 1937 qu’elle adhéra au Parti communiste français. Elle avait 17 ans. 17 ans, ce fut une chanson de Jean Ferrat. Dans sa famille, une famille d’ouvriers, d’employés et de journaliers agricoles, on parlait des malheurs de la guerre, on évoquait avec crainte les évènements de 1934, on s’enflammait aussi devant le mouvement de 1936. Madeleine avait choisi personnellement de s’engager. Son parti, elle y tenait, elle y croyait. Elle portait avec fierté, avec humanité, avec sensibilité, nos idéaux de justice et de liberté.

Quand on a connu la Résistance et les camps de la mort, sans doute porte-t-on un regard différent sur la vie. Sans doute perçoit-on différemment la nécessité de l’engagement.

Dès juillet 1940, du haut de ses vingt ans, Madeleine était rentrée dans la Résistance. Elle fut chargée d’organiser l’action dans les départements de la zone interdite, notamment dans le Nord et le Pas-de-Calais, qui sont toujours restés chers à son cœur. Dénoncée, elle fut arrêtée en gare de Douai le 9 janvier 1942. Emprisonnée à Loos, menottée en permanence pendant deux mois, elle fut ensuite déportée dans les camps, jusqu’à Ravensbrück et Mauthausen. Dans les camps, elle continua à organiser la résistance au nazisme. Elle agit autant que possible pour la dignité des femmes, qui s’organisèrent pour refuser tout travail industriel, ou toute participation à la construction d’ouvrages militaires. Au plus profond du brouillard qui enveloppait l’humanité, Madeleine a témoigné d’une ténacité et d’un courage exemplaires, le courage des justes.

Elle fut de celles et ceux qui osèrent se dresser contre la barbarie nazie. Elle fut de celles et ceux à qui la France et au-delà, l’humanité doivent beaucoup.

A la Libération, Madeleine reprit ses activités et ses engagements. Elle devint secrétaire de l’Union de la Jeunesse Républicaine de France puis secrétaire nationale de l’Union des Jeunes Filles de France. Elle était attachée profondément à « toutes les actions des femmes pour les droits et la paix », comme elle le disait elle-même. Elle était fière d’avoir fondé le journal « Femmes Aujourd’hui Demain », que l’on distribuait à des millions d’exemplaires à chaque parution.

En 1954, Madeleine fut élue au Comité Central du Parti Communiste Français. Elle en fut membre jusqu’en 1996. Ainsi commença pour elle l’exercice de hautes responsabilités en tant que dirigeante politique. Chacun a son anecdote pour raconter la fermeté de Madeleine mais aussi son profond humanisme. Ce qui frappait d’abord pour celles et ceux qui la côtoyaient, c’était sa grande attention aux militantes et aux militants. Elle veillait sans cesse à ce qu’ils se sentent bien, qu’ils soient à l’aise dans leur parti. Peu à peu, son esprit de responsabilité, sa rigueur, son intelligence des grands mouvements à l’œuvre dans le monde la conduisirent à prendre encore plus de responsabilités. Entre 1970 et 1990, elle impulsa l’action nationale du Parti communiste au sein de son bureau politique. Inlassablement, elle savait se mettre au service de ce qu’elle croyait juste, elle avait le souci que notre parti soit à la hauteur de notre peuple.

Dans ce cadre, elle a oeuvré avec passion pour l’émancipation des femmes, son combat de toujours. Alors que le PCF sortait d’une période d’incompréhension et même d’affrontement avec le mouvement féministe, aveuglé par une vision faussée de l’émancipation humaine, elle chercha à comprendre pourquoi ce parti qui avait été en pointe du combat féministe au cœur de l’entre-deux-guerres, avec son journal l’Ouvrière, avec son secrétariat à la condition féminine, avait raté le rendez-vous avec les femmes dans les années 60. Elle avait su donner un nouvel élan au féminisme des communistes. De tout cela, nous avons eu longuement l’occasion de reparler. Madeleine a toujours cherché à comprendre pourquoi l’histoire s’était écrite de cette façon. C’est pourquoi, grâce à elle, en 1997, nous avions fondé l’association « Femmes et Communistes : Jalons pour une histoire ». Elle consacra une énergie formidable et toute la force de son engagement à la réussite de cette belle aventure. Son courage et sa détermination ont conduit au succès du colloque 2001 où elle se félicitait que nous ayons rompu avec les conceptions anciennes. Celles qui nous avaient conduit à ne pas voir les potentialités et les aspirations qui montaient dans la société, à nous couper de mouvements d’émancipation humaine qui avaient à voir avec le communisme.

Ensuite, Madeleine fut responsable du secteur élections de notre parti et chargé de coordonner l’action des élus communistes. C’était une tâche ardue au regard des défis posés dans le quotidien. Là encore, elle fit preuve de qualités exceptionnelles pour déployer l’action de notre parti et lui permettre d’être toujours plus en prise avec la réalité.

Chers Guy, Daniel,

Chers amis, chers camarades,

Ce jour est un jour de tristesse pour les communistes. Une immense peine m’étreint aujourd’hui. Je mesure la force de ce que nous avons partagé.

Une grande dame s’en va, une personnalité du mouvement féministe, une dirigeante marquante du Parti communiste, j’ose le dire, une figure de notre histoire nationale.

Ce qui frappe à la relecture de sa vie, c’est le courage qui était le sien. Non pas un courage tapageur, mais un courage simple et vrai.

Elle portait un idéal, qui habitait toute sa vie. Je voudrais vous citer les propos qu’elle tenait en 2001, sous la coupole de la place du Colonel Fabien : « Aux générations nouvelles, nous offrons de construire le communisme, cette société de femmes et d’hommes libres et égaux, dans une lutte pour remettre en cause dès maintenant toutes les formes d’exploitation, d’oppression, d’aliénation, d’où qu’elles viennent. Voilà pourquoi nous affirmons vouloir être pleinement communistes et pleinement féministes. »

Nous ne t’oublierons pas Madeleine, femme communiste, notre camarade. Ta vie demeurera pour nous une lumière qui éclairera nos chemins.

 

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