WILLY RONIS

 

Willy Ronis, tendre témoin du génie du peuple

Le célèbre photographe Willy Ronis s’est éteint samedi à Paris, à quatre-vingt-dix-neuf ans. Il était notre ami.
C’était voilà tout juste trois ans, Willy Ronis était honoré au stand des Amis de l’Huma,
à la Fête. Martine Franck, veuve d’Henri Cartier-Bresson, Guy Le Querrec, son pote de Magnum, Marc Riboud, mais aussi Régis Debray, Ernest Pignon-Ernest, Michel Onfray le fêtaient, l’entouraient. Vieille connaissance, la présidente des Amis, l’écrivaine Edmonde Charles-Roux, racontait comment, alors qu’elle était jeune rédactrice en chef de Vogue, elle lui avait, comme le père de Marie-Claude Vaillant-Couturier, Lucien Vogel, passé une commande de mode. Une facette peu connue du travail de Willy…
Les Retrouvailles avec Suzanne
Mais le clou de la soirée, c’était les retrouvailles de Willy et de Suzanne Trompette, la petite fille de sept ans qu’il avait photographiée, poing levé, en bonnet phrygien, juchée sur les épaules de son père, Félix Gilles, cheminot communiste, défilant le 14 juillet 1936, rue Saint-Antoine, à Paris. Devenue septuagénaire, Suzanne avait mis deux ans pour remonter jusqu’au fameux auteur de cette image. Généreux membre fondateur, Willy l’avait offerte aux Amis de l’Humanité qui en avaient fait un poster, toujours en vente. Ce soir-là, Suzanne n’en revenait pas d’entrer dans le cercle ému de la quarantaine d’anonymes qui, immortalisés par Willy, ont eu la chance de le retrouver. Sans doute ignorait-elle combien important était ce cliché pour le photographe : vendu par son frère, en petit format, un mois après l’événement, à notre journal, il ouvrait à Willy les portes de sa carrière professionnelle.
Chez lui, près de la Nation
Remettons-nous un instant dans le contexte : sans la presse progressiste, sociale, syndicale, de gauche, qui s’épanouissait alors, notamment à travers le photoreportage dans les usines en luttes et dans les pays où l’on ne voyageait encore guère, sans des événements aussi marquants que le Front populaire dont il fut LE photographe, Willy Ronis n’aurait pas pu mener la carrière formidable qui fut la sienne, au four et au moulin des luttes sociales, mais aussi à l’affût du Paris des quartiers populaires, de Belleville à Ménilmontant. Il parlait de « ces années fabuleuses ». « Notre aspiration à la liberté était assouvie grâce à l’éclosion de la presse illustrée, réponse à l’appétit croissant du public pour l’image », confiait-il, l’oeil pétillant, un jour où, au 8e étage de son immeuble, proche de la rue de Lagny, près de la Nation, il revenait sur ses soixante-quinze ans de carrière en dévoilant ses planches-contacts tirées par lui et classées par thèmes. Là, on réalisait vraiment combien imprévisibles étaient ses photos prises sur le vif, l’incertitude qui précédait le développement, en ces temps argentiques, mais aussi le bonheur de pouvoir photographier la foule, la rue, sans avoir à se soucier du droit à l’image !
Un mot d’ordre : l’Hymne à la joie
Willy Ronis adorait la nature, la marche, la musique et le génie du peuple. Il ressemblait à ses photos, toujours en quête de bonheur, malgré des deuils sans fin, toujours dans un sentiment d’extrême fraternité pour les humbles, « ceux que la France d’en haut appelait les salopards en casquette ». Lui, son préjugé de départ était toujours favorable. Edmonde Charles-Roux parlant, à son propos, d’« hymne à la joie », évoquait son talent pour capter « le grand bonheur public d’une population qui reçoit pour la première fois la vérité des vacances ».
Sur les cimaises, cet élan vers l’autre était à tout casser. Le photographe n’hésitait pas à recadrer ses images autour d’un personnage central qui avait attiré son attention et qu’il enveloppait de chaleur et de sympathie, même si ce dernier, souvent filmé de trois quarts ou de dos, ne regardait presque jamais frontalement l’objectif.
Le dernier de sa génération
Après la mort de Doisneau, puis celle de Cartier-Bresson, il restait le dernier de cette génération. Ils l’avaient éclipsé longtemps mais le processus de sa reconnaissance, tardivement déclenché, finalement, s’emballait. Sa singularité, ce fameux attachement aux petites gens, le fait de n’avoir jamais trahi ses valeurs, ses engagements, inspiraient l’admiration. « Je vais à la rencontre des gens qui me ressemblent et le miroir que mes images leur tendent est le même où moi-même je me regarde », expliquait-il.
Lorsqu’on lui demandait pourquoi il était étiqueté « photographe humaniste », ce cueilleur de hasards parlait de sa « marche à petits pas vers une représentation poétique du bonheur modeste ».
« Ne jamais accepter L’inacceptable »
Du coup, il ne cessait d’exposer, de publier, de vendre… jusqu’à Tokyo. Portfolios, prix et dithyrambes se consacraient désormais volontiers au « plus grand photographe vivant du XXe siècle », qui eut droit, entre autres, à deux rétrospectives qui feront date : celle de la Mairie de Paris, pour laquelle il eut tant le trac, puis, l’été dernier, celle d’Arles, où il fit sensation, entre deux dialyses, dans son fauteuil roulant portant le dossard DR (slogan de la profession en lutte contre la publication d’images gratuites). Faisant référence à sa traversée du désert (voir sa bio), il disait : « Il ne faut jamais accepter l’inacceptable. J’ai peut-être payé cher, mais au moins, je suis tranquille avec moi-même. »
Samedi, on était donc choqué, peiné, de découvrir que c’était Stéphane Ledoux, le patron d’Eyedea, qui, pour l’agence Rapho, rendait hommage à cet homme, tout de dignité et d’engagement, qui a fait don de toute son oeuvre à l’État pour qu’elle ne parte pas à l’étranger. Le financier, fossoyeur de l’agence Gamma, vantant les mérites de Willy, fallait le faire !
Magali Jauffret
L’Humanité, 14 septembre 2009

 

Ils sont montés dans le métro et ont entonné la Jeune Garde. "

Que représente, pour vous, le 1er mai ?

Willy Ronis. Cela représente plus de souvenirs que de présent. Sur le plan de la fête sociale, je ne suis pas redescendu dans la rue depuis longtemps. J’ai quitté Paris, en effet, dans les années soixante-dix. J’y suis revenu en 1983. Mais ma vie a pris, alors, un autre tour.

Gardez-vous un souvenir particulier de certains 1er Mai, comme celui de 1936 ou de la Libération ?

Willy Ronis. 36, non. Mon père était à l’agonie. Et ma première sortie à l’air libre, comme photographe indépendant, si je puis dire, eut lieu le 14 juillet 1936. C’est là que j’ai photographié la petite fille sur les épaules de son père dans le faubourg Saint-Antoine, au métro Saint-Paul. J’ai d’ailleurs retrouvé cette personne, voilà un an.
En consultant mes boîtes annuelles de négatifs, je m’aperçois que j’ai fait très rarement des photographies des 1er Mai. C’était avant tout, pour moi, l’occasion de retrouver les copains, de vivre avec eux, dans une grande joie, ce défilé populaire. Je ne sais pas ce qui s’est passé ce 1er mai 1951. Étais-je particulièrement en veine de photographies ? C’est en tous cas de ce jour-là datent la plupart de mes images concernant cet événement.

Parmi les photographies que vous avez retenues, l’une d’entre elles montre Jeanne d’Arc avec Danièle Casanova. Pourquoi cette image ?

Willy Ronis. Je ne sais pas. Était-ce seulement un éclair dans la nuit ? La première et la dernière fois ? Dans les archives des Jeunesses Communistes, on devrait pouvoir retrouver comment est née l’idée d’associer à Jeanne d’Arc cette dirigeante des Jeunes Filles de France, déportée à Ravensbrück. En tout cas, cette photographie me plaît. La lumière est belle. La composition, aussi. Les deux jeunes filles ont une très belle attitude. Cette association de deux figures tutélaires de la jeunesse est très émouvante.

Vous souvenez-vous d’un déclic qui marque le début de votre engagement ?

Willy Ronis. Oui. J’étais lycéen. Je devais avoir quatorze ou quinze ans. J’ignore pourquoi, mais je me trouvais dans le métro un soir, assez tard. Soudain, j’ai vu monter joyeusement un groupe de cinq ou six hommes de trente à cinquante ans. Tout d’un coup, leurs visages a changé. Empreints d’une formidable gravité. Et ils se sont mis à entonner la Jeune Garde. Les paroles de ce chant m’estomaquaient. J’étais en train de découvrir la revendication de la dignité et la classe ouvrière. Avec le recul, j’ai comme une vague idée qu’ils revenaient d’une réunion politique qui avait pu se dérouler à la Grange-aux-Belles où se tenait alors l’université Ouvrière. Cela m’a marqué. Depuis ce jour, je n’ai jamais oublié cette scène.

Alors que vous approchez des quatre-vingt-dix ans, le 1er mai est-il, pour vous, synonyme de nostalgie ?

Willy Ronis. Il est sûr que la moindre importance des manifestations est liée à la diminution de la conscience de classe. Si nous assistions à un retour des grands défilés, sans doute me sentirais-je, malgré mon éloignement, encouragé à y retourner. N’empêche, mes options philosophiques et politiques n’ont pas changé. Je ne pense pas que, malgré la douche que nous avons essuyée, l’utopie soit devenue une foutaise. Cela n’a pas entamé mon espoir. Mon optimisme est même indéracinable en ce qui concerne le terme lointain. Je suis persuadé que la condition humaine débouchera sur quelque chose de plus lumineux et plus fraternel.

Que représente, pour vous, le plasticien Ernest Pignon-Ernest ?

Willy Ronis. Je me suis trouvé pour la première fois à sa table, l’année dernière, au stand des amis de l’Humanité. J’ignorais que c’était lui. À un moment, Edmonde Charles-Roux ou Régis Debray a prononcé son nom. J’ai dit : " Ah, c’est vous ! " Et j’ai explosé : " Laissez-moi vous dire en quelle estime je tiens votre travail, combien j’avais été impressionné de votre séquence napolitaine lorsqu’elle avait été exposée en Arles ! " Comme il appréciait mon travail, cela a établi un courant de sympathie. Mais franchement, il dessine comme Léonard de Vinci !

Propos recueillis par Magali Jauffret – L’Humanité, 29 avril 2000


HUMEUR

Willy Ronis : M. Santini rate la marche de 36

Charmante exposition Willy Ronis à l’hôtel de ville d’Issy-les-Moulineaux, et qui rencontre un joli succès public. Comme quoi la banlieue de Paris c’est tout de même, sous le regard du grand photographe, autre chose que la chasse gardée des promoteurs et la valse des expulsions.
Petite erreur ( pas si petite que ça finalement ) dans la légende d’une photo emblématique : le défilé du 14 juillet, avec la petite fille au bonnet phrygien, et au poing levé sur les épaules de son père, n’est pas celui de 1935, mais celui de 1936 qui fêtait la victoire du Front populaire ! On dit que dans les erreurs, mêmes involontaires, il y a parfois un acte manqué : serait-ce que le Front populaire passe mal dans la culture politique de M. André Santini ?

11 mars 2010

 


 

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