Discours
de Guy DUCOLONE
Soixantième anniversaire de la Libération de Paris
29 août 1944
En août 1944, dans
Paris et dans les grandes villes limitrophes, dans les grandes villes
du pays, des femmes, des hommes se levaient en masse pour chasser
les occupants nazis.
Issy-les-Moulineaux était
de ce combat même avant l’arrivée des troupes
américaines parmi lesquelles figuraient des soldats et des
officiers français. La deuxième division blindée
de Leclerc entrait dans Paris les 24 et 25 août. Dans le même
temps, la première armée, commandée par de
Lattre de Tassigny, débarquée le 15 août en
Provence, remontait la vallée du Rhône.
Quatre années
dures où il avait fallu surmonter la misère, l’oppression,
les persécutions à l’encontre des juifs, des
populations hostiles à l’occupant ; les fusillades
des résistants et des otages. Au fil des mois, des femmes
et des hommes ont dénoncé les nazis et les traîtres
pour montrer aux Françaises et aux Français que l’on
pouvait agir contre les nouveaux maîtres et leurs serviteurs.
Des groupes de résistance
se sont structurés. Depuis le coup de feu au métro
Barbès, de Pierre Georges, qui deviendra le colonel Fabien,
l’action armée s’est développée.
C’est en pleine occupation, dans Paris occupé, que
se crée en mai 1943 le Conseil national de la Résistance.
Le 15 mars 1944, le CNR
diffuse son programme dont les premiers points étaient la
poursuite de la lutte pour la libération. La répression
des nazis se faisait plus brutale. Ils arrêtaient, avec la
complicité de policiers français, ils torturaient,
fusillaient ou déportaient les patriotes.
Parmi ces derniers, parmi
les combattants des maquis se trouvaient des femmes et des hommes
nés ailleurs qu’en France. Des affiches sur les murs
voulaient donner à croire que les Résistants étaient
surtout des étrangers.
Nous assisterons en fin
de matinée à l’inauguration, par le maire de
cette ville, d’une place qui se nommera Place du groupe Manouchian.
De ce groupe, les hitlériens ont fusillé 22 hommes
au Mont Valérien et une femme fut décapitée
à Stuttgart le jour de son anniversaire. Ils étaient
pour la plupart de jeunes combattants qui avaient porté des
coups terribles à l’ennemi. Quatre étaient français,
les autres, arméniens, comme leur chef Missak Manouchian,
ou polonais, italiens, hongrois, espagnols, roumaine. Dix d’entre
eux étaient des juifs. Tous étaient communistes, membres
des FTP MOI.
C’est Manouchian
qui écrivit dans sa dernière lettre qu’il était
fier de mourir comme officier de l’armée de la libération
nationale et il y ajouta : « je meurs sans haine pour le peuple
allemand ».
Permettez-moi, à
cet instant, de dire toute mon émotion, ma colère,
devant ces actes barbares de profanation de tombes juives ou musulmanes,
ou même chrétiennes, maculées d’insignes
nazis. Ce fut aussi ces jours derniers l’incendie d’un
lieu de rencontre juif à Paris.
En ces jours anniversaire
de la Libération, nous nous devons de ne pas oublier nos
camarades qui, quelles que soient leur opinion, leur religion, leur
nationalité, nous ont transmis par leur courage, par leur
martyre, la nécessité de nous battre contre le racisme
et la forme ignoble qu’est l’antisémitisme, de
nous battre contre la xénophobie ; pour que puisse exister
la paix et l’amitié entre les humains.
Ces vingt-trois figurent
dans le long martyrologue des patriotes morts au combat.
Celles et ceux des Francs
tireurs et partisans français ;
Celles et ceux des Forces françaises de l’intérieur
;
Celles et ceux des Forces françaises libres.
Et les quelque 110 000
morts dans les camps de concentration.
Depuis les premiers arrêtés
en 1940 ou 1941, jusqu’à ceux tombés dans les
combats d’août 1944 à Paris et dans ceux des
autres villes et villages de France, toutes et tous sont partie
prenante de la Libération de la France. Sans eux, sans les
combattants du début et depuis, qui sont restés en
vie, l’insurrection nationale n’aurait pu avoir lieu.
A la veille de la Libération
de Paris, il existe dans la capitale comme dans les villes de banlieue
un réel bouillonnement. Celui qui en fut le chef, Rol Tanguy,
récemment décédé, et qui, depuis lundi
dernier, le 23 août, a donné son nom à une avenue
de Paris, pouvait dire lors d’un colloque, il y a dix ans
:
« A partir du 1er juillet, il y eu à Paris de grandes
manifestations : 1er juillet, 14 juillet, des dizaines de milliers
de Parisiens dans la rue… Pour la première fois, la
police n’est pas intervenue, les Allemands non plus. Tout
cela était autant de précisions des services de renseignement
qui créaient en quelque sorte une situation favorable pour
préparer l’insurrection ; le jour où nous donnerions
l’ordre, c’est la population qui répondrait à
l’appel de la Résistance. »
Et Rol Tanguy avait raison
d’être confiant.
Le 10 août, les cheminots sont en grève. Plus un train
ne circule. Les convois allemands sont stoppés. Le 16 août,
le métro s’arrête. Un des dirigeants de la résistance
du métro a expliqué : « avec le réseau
téléphonique souterrain du métro et ses deux
standards à Bastille et Denfert ; avec le réseau téléphonique
des égouts relié au standard des Catacombes ; Rol
Tanguy dispose de liaisons sûres et rapides qui lui permettent
de connaître tous les déplacements des Allemands. »
Les 16 et 17 août,
l’ensemble des postiers cesse le travail.
Le 18 août, la CGT appelle à la grève générale.
C’est aussi le jour de l’insurrection.
Le 19, la Préfecture de police est occupée par les
policiers en grève.
Des combats de rue se déroulent dans les jours qui suivent.
Des barricades sont édifiées.
Le 24 au soir, le capitaine
Dronne, éclaireur du Général Leclerc, arrive
à l’Hôtel de ville de Paris avec quelques chars,
avant-garde de la 2ème DB entrée le 25 août.
Ce 25 août à
15h30, le général Von Choltitz signe l’acte
de capitulation qu’il remet au général Leclerc
et au Colonel Rol Tanguy à la gare Montparnasse.
Paris est libre.
Le lendemain, le général de Gaulle, entouré
des chefs de la Résistance, descend les Champs-Elysées.
Comment, 60 ans après,
parler d’un événement historique incomparable
?
Je ne l’ai pas
connu personnellement, mais je me rappelle très précisément
la joie qui nous a envahis à Buchenwald qui fut bombardé
le 24 août 1944. La joie n’était pas seulement
celle des Français, mais elle était celle des détenus
des autres nationalités.
Je citerai simplement
cette phrase de Christian Pineau, compagnon de la Libération,
ancien ministre, ancien de Buchenwald, qui écrit dans son
livre « La simple vérité » en parlant
de cet événement : « cela contribue à
accroître notre prestige dans le camp. Les Tchèques
du flugel B reconnaissent enfin qu’ils ont eu tort d’enfermer
dans le même sac les collaborateurs et les Résistants,
les attentistes et les combattants. Pour eux, nous devenons enfin
des camarades. »
Ces jours-là étaient
pour nous une espérance qui durera hélas avec son
cortège de morts durant encore 11 mois.
Pour la France, pour
les Françaises et les Français, c’était
la fin de l’occupation. Malgré la guerre qui se poursuit,
c’était la liberté retrouvée.
C’est le sens de
cette nouvelle rencontre ce 29 août 2004, à ce monument
Issy 2004
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