Discours
de Guy Ducoloné
pour la Journée nationale de la Déportation avril
2008
(quelques
mois avant sa disparition)
Il y a soixante trois ans que les survivants des Juifs (3%) ; des
opposants à la dictature hitlérienne (40 %) rentraient
des camps de concentration.
Pour ceux qui sont revenus,
pour les familles des disparus cette période n’est
pas facile. Mais avec beaucoup d’autres -plus jeunes- ils
agissent pour que les leçons de ces années ne tombent
pas dans l’oubli.
Régulièrement
chaque année -notamment depuis 1954- ils se rassemblent le
dernier dimanche d’avril, Journée nationale de la Déportation.
Régulièrement
revient l’idée de ne faire qu’une unique journée
des souvenirs.
Je ne crois pas que ce
soit juste.
En effet, en dehors de la mort d’un très grand nombre
d’êtres humains il n’y a aucun lien, aucune commune
mesure entre les diverses périodes sombres de notre histoire.
En effet celle qui suit
la défaite de 1940 est singulière.
Si un certain nombre de Français choisissent la collaboration,
un nombre - qui ira croissant de 1940 à 1944, de femmes et
d’hommes, jeunes et moins jeunes se sont -malgré les
pires difficultés- soulevés contre l’occupant.
Or ceux que l’on nommera les Résistants, qu’il
s’agisse du distributeur de tracts du début ; puis
de ceux qui firent dérailler des trains et les Francs-tireurs
qui usent de leurs armes, tous savent qu’ils risquent l’arrestation,
voire la mort.
Les fusillés sont
nombreux, et dès 1942, ce seront 75000 Juifs et près
de 90000 autres personnes qui seront déportés.
Nous ne savions pas exactement dans les trains de déportation
ce qu’étaient les camps de concentration. Et même
un certain nombre de partants ignorait ce qu’étaient
ces camps.
Aussi je pense, très
profondément, que cette mémoire est particulière.
D’abord parce que les camps ont été au début
des lieux de détention des Allemands. Les premiers détenus
sont arrivés quelques mois après l’avènement
de Hitler.
Ensuite ce furent des
femmes et des hommes de pays occupés.
En 1938 avec des milliers de Juifs allemands arrivent les Autrichiens.
Après le pacte de Münich des quatre dirigeants d’Allemagne,
de Grande Bretagne, d’Italie , de France, ce sont les Tchécoslovaques,
puis des Polonais, puis des Soviétiques qui n’avaient
pas été exécutés sur place.
Ce sont dans les années
1942 - 43 que - pour pallier au manque de main-d’œuvre
allemande dans les usines de guerre - arriveront les détenus
politiques des pays occupés.
Les premiers convois massifs de Françaises et de Français
datent de 1943.
Ils seront envoyés pour la plupart dans l’industrie
d’armement. Il y furent d’ailleurs de bons saboteurs.
Certains iront creuser des galeries et des usines souterraines pour
éviter les bombardements aériens.
Ainsi les fusées
intercontinentales V1 et V2 furent assemblées dans les galeries
et les tunnels de Dora.
Il y a alors deux sortes de camps : les camps d’extermination
où notamment les Juifs, les Tsiganes seront massivement gazés
et brûlés.
Et il y eut une dizaine de camps auxquels s’ajoutent plusieurs
centaines de sous-camps appelés Kommandos.
Dans tous les camps les femmes et les hommes étaient voués
à mourir - plus ou moins vite -.
Tous étaient des camps de la mort.
La dictature nazie en Allemagne, l’occupation des pays d’Europe
sont bien d’une époque particulière qui oblige
à une mémoire bien précise.
Ce fut une époque
qui - en douze ans de durée - se manifesta du fait de l’Allemagne
nazie par sa barbarie, par ses crimes, par ses guerres et par l’occupation
cruelle aux populations d’Europe.
C’est pourquoi est célébrée la libération
des camps de concentration dans de nombreux pays d’Europe.
Tous ensemble, de tous les pays, cette commémoration a lieu
car comme l’a écrit l’écrivain Louis Martin
Chauffier « L’oubli serait démissionnaire ».
Avoir cette période
en mémoire est d’autant plus utile et nécessaire
qu’il existe encore dans le monde et aussi chez nous, des
groupes fascistes et néo-nazis qui se manifestent.
C’est le cas des banderoles dans des stades.
C’est la profanation de tombes juives ou musulmanes.
Ce sont les agressions ou les injures racistes envers des personnes
selon leur nom ou leur physique.
Les mots de Berthold Brecht sont encore vrais « Le ventre
de la bête immonde est toujours fécond »
En participant à cette journée nous sommes de ceux
qui disent :
Non au racisme et à l’antisémitisme.
Oui à la solidarité et à l’amitié
entre les hommes et les femmes sans distinction de religion, de
tradition ou de couleur de peau.
C’est ce message que sans relâche portent les associations
de déportés d’internés de leurs familles
et de leurs amis.
C’est celui de
La Fondation pour la Mémoire de la Déportation (FMD)
L’Association des Déportées et Internées
de la Résistance (ADIR)
La Fédération Nationale des Déportés
et Internés de la Résistance (FNDIR)
La Fédération Nationale des Déportés
et Internés, Résistants et Patriotes (FNDIRP)
L’Union Nationale des Associations de Déportés,
Internés et Familles de disparus (UNADIF)
L’Union Nationale des Déportés, Internés
et Victimes de Guerre (UNDIVG)
Elles adressent un message
commun pour la Journée nationale du souvenir de la Déportation
En cette Journée
nationale de la Déportation, les rescapés des répressions
et des persécutions nazies et les familles de disparus se
félicitent de l’importance donnée à cette
commémoration et rappellent la place particulière
qu’elle occupe et doit continuer à occuper dans les
célébrations nationales.
Il est nécessaire
aujourd’hui de rappeler les épreuves subies par les
dizaines de milliers de victimes des exactions qui furent infligées
à ceux, hommes et femmes, qui s’étaient élevés
contre la barbarie ou furent arbitrairement envoyés à
la mort.
Il est nécessaire
de rendre hommage aux armées alliées et aux forces
de la Résistance intérieure et extérieure qui
ont permis la victoire sur le nazisme.
Il est nécessaire
que soient tirés les enseignements susceptibles d’éclairer
l’avenir. Les nouvelles générations doivent
avoir conscience de la valeur primordiale des principes que les
nazis et leurs complices avaient foulé au pied. Elles doivent
lutter sans relâche contre les violations des droits de la
personne humaine.
Ils déplorent
que, malgré d’incontestables progrès de la communauté
internationale, le XXIe siècle compte encore de très
nombreuses victimes d’oppressions.
Souvenons-nous ! Le regard
qui prive l’autre de sa dignité et de sa liberté,
avant de le priver de son droit à l’existence, est
une réalité toujours prompte à resurgir.
C’est pourquoi, les survivants demandent aux générations
montantes, instruites de ce qui fut et conscientes de ce qui est,
d’avoir le courage et l’énergie de construire
un monde meilleur.
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