Article
du journal l'Humanité (26 Août 2008)
au lendemain du décès de Guy Ducoloné
Le
courage tranquille de Guy Ducoloné
Il est mort hier à l’âge de quatre-vingt-huit
ans. Résistant, dirigeant communiste, il fut un élu
toujours attentif au sort des ouvriers et des salariés.
Guy Ducoloné, qui disparaît aujourd’hui à
l’âge de quatre-vingt-huit ans, fut un homme à
qui le XXe siècle, ses gloires et ses drames ont fourni un
destin exceptionnel. Et surtout qui a su le saisir par conviction
et courage.
Une mère casseuse de noix saisonnière, un père
ouvrier charpentier, Guy Ducoloné est né en 1920 dans
un petit village du Lot-et-Garonne, Monsempron-Libos, où
il a vécu l’enfance d’un fils d’ouvrier
de l’époque. Quelques années plus tard, la famille
« monte » à Paris et s’installe dans le
14e arrondissement.
L’école jusqu’à douze ans, deux ans de
cours complémentaire, l’apprentissage et un certificat
d’aptitude professionnelle d’ajusteur en instrument
de précision, Guy Ducoloné entre dans la vie active
à quinze ans. « J’ai eu la chance que ce soit
dans ce bouillonnement profond dans le pays que fut le Front populaire,
avec les avancées sociales qui permirent à mon père
d’avoir pour la première fois quinze jours de congés
payés, et à son fils, son apprentissage terminé,
d’être embauché avec un contrat à durée
indéterminée », indique-t-il.
Il se souvient aussi qu’à treize ans il participe au
cross de l’Humanité. Le lendemain, il ouvre le journal
pour y lire les résultats, et ne cessera jamais de le lire
depuis cette date.
C’est donc tout naturellement qu’il adhère à
la CGT à quinze ans, à la Jeunesse communiste puis
au Parti communiste l’année suivante. Soixante-douze
années de fidélité à un combat qui marquera,
jusqu’à la fin, toute sa vie.
La fin des années trente, c’est l’enthousiasme
du Front populaire durant lequel le jeune métallurgiste s’investit
dans l’activité syndicale, c’est la solidarité
avec l’Espagne républicaine, la lutte contre les «
lâches accords de Munich »… Mobilisé en
1939, Guy Ducoloné s’échappe de sa caserne encerclée
par les Allemands, regagne Paris et « entre en résistance
».
Responsable de la Jeunesse communiste, il participe à l’organisation
de la manifestation parisienne des jeunes le 13 août 1941,
puis à celle de la rue de Belleville. Au sein du Front national
pour l’indépendance de la France, le jeune résistant
participe à plusieurs opérations contre des installations
allemandes.
C’est le 1er mai 1942 qu’il est arrêté.
Sous la torture, il se tait, connaît les prisons de La Santé,
Fresnes, Melun, Châlons-sur-Marne. Par deux fois, il tente
de s’évader avec d’autres prisonniers.
En 1944, de Compiègne, il est déporté à
Buchenwald où il restera un an. Avec Marcel Paul, Guy Ducoloné
participe à l’organisation de la résistance
intérieure du camp au sein du Comité des intérêts
français. Quand les troupes américaines entrent dans
le camp en avril 1945, Guy Ducoloné fait partie des déportés
qui, les armes à la main, les accueillent et leur remettent
les SS qu’ils ont faits prisonniers.
En 1946, c’est le mariage avec Madeleine Vincent, ancienne
déportée comme lui, militante et dirigeante nationale
du Parti communiste. Une vie militante passionnée qu’ils
partageront jusqu’au décès de Madeleine le 22
novembre 2005.
À la Libération, Guy Ducoloné a repris son
activité militante. Secrétaire général
de l’UJRF, l’organisation des jeunes communistes de
1950 à 1955, le jeune dirigeant est emprisonné en
1953 pour ce qu’on a appelé « le complot des
pigeons », avec notamment Paul Laurent, Louis Baillot et André
Stil. Il restera onze mois à Fresnes et l’affaire se
terminera par un non-lieu pour tous les inculpés. En 1950,
il entre au Comité central du Parti communiste. Il en sera
un des secrétaires auprès de Maurice Thorez.
Sa vie politique sera surtout marquée par un engagement d’élu.
Comme conseiller municipal de sa ville d’Issy-les-Moulineaux
durant quinze ans, conseiller général pendant trente-cinq
ans, député vingt-quatre années durant dans
sa circonscription de la Seine puis des Hauts-de-Seine, celle d’Issy-les-Moulineaux,
Vanves, Malakoff de 1964 à 1988. Il fut élu deux fois
vice-président de l’Assemblée nationale. C’est
« sur le terrain », dans la proximité, que le
député conçoit son rôle d’élu.
Il est surtout reconnu pour son inlassable défense des salariés
dans les entreprises de la région parisienne, aux usines
Renault Billancourt notamment, et sa participation aux combats pour
sauvegarder l’emploi industriel.
Durant toutes ces années d’investissement politique
absorbant et jusqu’à aujourd’hui, Guy Ducoloné
ne lâchera jamais son engagement auprès de ses compagnons
du monde de la déportation. Au sein de la Fédération
nationale des déportés et internés, résistants
et patriotes (FNDIRP), au sein de l’association française
Buchenwald-Dora et Kommandos dont il assure la présidence,
Guy Ducoloné consacre du temps à la reconnaissance
et la défense des droits de ses camarades et à la
pérennisation de la mémoire de la Résistance
et de la déportation.
Jusqu’au bout, il témoignera notamment auprès
des collégiens et des lycéens de ce que furent la
Résistance et la déportation.
« Nous pouvons être utiles par nos témoignages
pour empêcher l’oubli de prendre le dessus, explique-t-il.
Nous le pensons d’autant plus que notre tâche est encore
inachevée. Les nostalgiques de la croix gammée existent
toujours, quelle que soit l’image quportent. Ils voudraient
bien sûr faire oublier ou pour le moins, dans le présent,
banaliser la Résistance et la déportation. Ils voudraient
contester l’élimination quasi totale des juifs arrêtés
en tant que tels. Ils voudraient contester l’utilisation dans
les usines de guerre nazies des femmes et des hommes de toute l’Europe
arrêtés parce qu’hostiles à Hitler et
à son régime. (…) Nous pouvons mettre en échec
ces idées et menées séditieuses. »
Guy Ducoloné n’est pas seulement resté
fidèle à ses idées : il est resté jusqu’au
bout un combattant. Lors de la remise de ses insignes de commandeur
de l’ordre national du Mérite en février 2006,
Guy Ducoloné assurait : « Au camp, même dans
le plus grand dénuement, nous pensions à ce demain
que nous voulions construire meilleur pour tous. Je continue à
y penser. »
Olivier
Mayer
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